Bain de Blues 2025 - 19 ème édition
Comme de coutume, l’édition 2025 s’est amorcée par la prestation sous tente des élèves de l’école de musique locale Opus 17. Le show des jeunes a convaincu tous les auditeurs, que ce soit d’ailleurs le vendredi ou le samedi, interprètes un poil plus détendus ?, avec cette année une composition très féminine puisque Paul, à l’accordéon, se produisait en compagnie de six filles ! Les auditeurs ont en particulier pu remarquer entre autres l’excellente interprétation de la redoutable « scie » de Fleetwood Mac « The Chain », qui a vrillé nos neurones bien après la fin de la prestation de nos jeunes musiciens. Cela dit, cela fait plaisir de les voir s’investir dans la résurrection de ce morceau des années 70, même si la période la plus typiquement blues du groupe anglo-américain était alors terminée depuis quelques années !

Les portes s’ouvrent, et il revient à Thierry de présenter le groupe chargé des inter-scènes et de donner le départ de leur premier intermède. Ce soir, l’honneur revient aux Customers, quatuor breton à géométrie instrumentale variable bien porté sur la musique des années 50, avec un mélange entre débuts du rock’n’roll, country, blues et rockabilly. Grâce à eux, se succéderont dans la salle du festival quelques hommages bien sentis, dynamiques et passés à leur moulinette personnelle de Buddy Holly, Link Wray, Carl Perkins, Johnny Cash, Elvis Presley, mais aussi des références plus récentes comme Eric Clapton ou Creedence Clearwater Revival. De quoi mettre l’ambiance !

Le Président Patrick Lecacheur ouvre officiellement le festival en présentant comme le veut la tradition les vainqueurs du prix Bain de Blues du tremplin des Rendez Vous de l’Erdre 2024, en l’occurrence le groupe du centre-Bretagne Akène Bleu. On commence par une forme épurée de blues : Adeline Haudiquet possède une voix un peu nasale, assez typée mais bien posée, du style qui passe très bien dans les mix, et une jolie présence. Dès le deuxième morceau, Alex Mirey, le « petit nouveau » du duo assis dans son coin, montre qu’il possède aussi un beau brin de voix, plus chaud que celui de sa partenaire, et un plaisant jeu de slide. Il réalise la performance de chanter, jouer de la guitare, tout en commandant pour les basses un pédalier d’orgue avec ses pieds nus : joli travail ! Leur morceau « Chevrolet » passe en douceur et Adeline se met à la guitare, avec un très joli son complémentaire de celui de la Strat’ d’Alex, pour trois morceaux dont une reprise d’Elizabeth Cotton et une composition, « Mirrors », long blues hypnotique et prenant, avant au final d’interpréter le « Be My Husband » de Nina Simone, premier titre sur leur album « Dandelion ».

Changement d’atmosphère, mais tout aussi sympathique, avec la talentueuse Delanie Pickering et sa très compétente équipe de mercenaires rassemblée autour d’elle par Denis Agenet (batterie, chœurs), avec Damien Cornelis (claviers) et Abdell B.Bop (contrebasse). Guitariste efficace, Delanie sait parfaitement se servir de la sensibilité de ses P90 et montre tout son savoir-faire dans un répertoire plutôt jump-blues, alternant morceaux bien remuants ou plus calmes. Elle se charge aussi plus qu’honorablement des prestations vocales (à part un morceau interprété par Denis Agenet), se montre aussi à l’aise dans des morceaux très carrés que dans des rythmiques plus subtiles (« I just gotta know ») et peut distiller quelques boogies bien envoyés. Vraiment une blueswoman complète, qui sait aussi bien swinguer que de montrer sa puissance ou sa sensibilité, et qui ne devrait pas non plus tarder à s’affirmer vocalement. Un set formidable qui lui vaudra un rappel mérité !


Première journée avec une moyenne d’âge très jeune car arrivent maintenant sur scène les Néerlandais de No King, qui savent d’emblée se rendre sympathiques quand leur organiste-chanteur Sjoerd Schelvis prend la peine de saluer le public en français. Tout de suite, le groupe impressionne par la technique irréprochable de tous ses membres et la voix sympathique de Sjoerd. Les amateurs de blues pur et dur pourront déplorer que parfois leur blues s’épelle r.o.c.k.. mais c’est dans leur contrat et la prestation possède une force et une cohésion impressionnante, toutefois non dénuée de fantaisie et de bonne humeur, comme le prouvera en fin de set le déplacement de Sjoerd Schelvis sur le devant de la scène, tenant à la main un petit clavier pour donner la réplique au guitariste Jelle Wunderink. L’immense bassiste Stijn Middelhuis et un très technique batteur qui ne semblait pas être Lars Middelhuis, en principe titulaire du poste, forment une sacrée rythmique qui propulse l’ensemble avec force et soutient parfaitement les envolées des deux autres membres. Le guitariste Jelle Wunderink fait le show, n’hésitant pas à jouer avec les dents, tout en montrant un indéniable feeling blues et des aptitudes impressionnantes à jouer les « shredders » quand le besoin s’en fait selon lui sentir. Efficace, énergique, spectaculaire, le groupe néerlandais a livré une excellente prestation qui a beaucoup plu à une partie du public, et un peu moins aux amateurs d’un feeling blues plus marqué.


Pour terminer la soirée, les Belges de The Bluesbones se sont emparés avec beaucoup d’entrain de la scène autour de Nico De Cock, leur chaleureux chanteur. Leur guitariste habituel, Stef Paglia, était malheureusement absent, mais son remplaçant n’a pas manqué de se distinguer par des envolées au bottleneck répondant aux glissandi de l’orgue et en se montrant particulièrement habité sur un blues lent. La prestation énergique, très dynamique, propulsée par une rythmique très efficace, incluant parfois quelques accents funky (« The Witchdoctor »), un feeling à la fois boogie et soul (« Talking to the Lord »), ou une incursion dans un shuffle plus classique (« Devil’s Bride ») a totalement emporté le public encore présent malgré l’heure avancée, très enthousiaste, qui a réclamé avec force et insistance un rappel, commencé par un morceau funky très dansant, de quoi faire encore remuer le public malgré l’heure tardive, et terminé par un incroyable bœuf avec Jelle Wunderink, sur « Whiskey Drinking Woman », un blues coquin façon Chicago, avec des allusions grivoises dans les paroles, assez lent mais très carré, qui a fini par déraper complètement et se terminer par une orgie de guitares, les deux instrumentistes se renvoyant la balle avec brio dans un final échevelé. On sentait tous les musiciens heureux sur scène et le public, qui a complètement adhéré, les a plébiscités. Quelle soirée !
Vers 17h, la deuxième journée s’amorce pour moi par le concert en « onemanband » de Little Tom au « Camping Du Lac », un bar nouveau venu pour accueillir la deuxième prestation des Bar’n’blues 2025. Il aurait vraiment été dommage de manquer cette prestation ! Armé de guitares, d’harmonicas et d’une grosse caisse, Little Tom nous a offert une très jolie performance dans un mélange de compositions personnelles et de reprises, allant de vieux blues traditionnels au « Hot Legs » de Rod Stewart, alternant pour l’accompagnement séries à la guitare électrique et séries à la guitare acoustique, accordage standard et accordage ouvert, et montrant une réelle et talentueuse maîtrise de l’harmonica sur son support. Vraiment un excellent moment avec un artiste émérite malgré sa relative jeunesse, qui semble avoir tiré tout le profit possible de son exil de trois mois sur la Route du Blues.
Mais déjà il est temps de se presser vers la grande salle pour une deuxième rasade d’Opus17 avant l’ouverture des portes. Ce samedi, les inter-scènes seront assurées par les Runck’s, jeune septet local de soul-funk (ils arrivent de Rennes) comprenant les classiques batteur, bassiste, et guitariste, un chanteur à l’aise dans les aigus, mais aussi un percussionniste, et pour la section de vents un cuivre (trombone) et un bois (saxophone), ce dernier pouvant au besoin s’emparer d’une Strat’ pour faire le second guitariste, offrant ainsi une modularité non-négligeable au groupe. À chaque inter-scène, le public le plus branché par des intermèdes dansants se pressera pour les écouter et profiter de leur dynamisme dans une musique invitant ceux qui ont des fourmis dans les pieds à se remuer quelques minutes entre deux productions de la grande scène.

Justement, la grande scène commence par accueillir ce samedi le Blues Organ Combo venu de Nantes. Swing semble être le maître-mot de ce trio très jazzy où l’organiste Bruno Denis se charge des basses et de quelques envolées notables, tandis que le guitariste Julien Broissant déploie ses efforts au niveau du chant et d’un style de guitare très épuré, très agréable. Il se décontractera au fil de la prestation, tombant la veste et affichant de plus en plus son plaisir de jouer. Outre sa participation à ce swing incroyable du groupe, alternant baguettes et balais, le batteur Gabor Turi participe lui aussi aux vocaux et nous délivrera un excellent solo bien ancré dans le jazz qui fera le bonheur des connaisseurs. Un très bon moment de blues-jazz pour entamer la soirée !
Contraste important avec l’arrivée sur scène des complices Johnny Burgin (guitare/chant) et Aki Kumar (harmonica/chant), accompagnés d’une rythmique de choc largement à la hauteur de sa réputation (June Core, excellent batteur aux multiples références, et Philippe Dandrimont à la basse, bien connu sur la grande scène du festival). Les deux lascars, dont le partenariat occasionnel ne date pas d’hier, vont amener sur scène une énergie rock’n’rollienne qui se traduira dès le deuxième morceau, par la reprise du « Should I Stay O Should I Go » de Bobby Fuller, popularisé par les Clash, ou peu après par le célèbre "(Let Me Be Your) Teddy Bear" créé par Elvis Presley. Aki Kumar fait preuve d’une exubérance de showman contrastant avec une certaine retenue, toujours élégante, chez Johnny Burgin, qui s’avérera pourtant finalement le pivot de la prestation, mais le blues est bien entendu de la partie, avec Elmore James ou Sonny Boy Williamson, en passant par du jump blues ou le très moite « When the Bluesman Comes to Town », titre original présent sur l’album Live de Johnny Burgin. On notera aussi deux titres en hindi (!) délivrés par Aki Kumar, qui essaie de faire participer dessus un public tout acquis, et les artistes se retireront sous des bravos enthousiastes.

Nouveau changement d’ambiance total avec l’apparition sur scène des Principles Of Joy, hélas diminués par l’absence d’un guitariste, trop malade pour venir, et par l’attaque microbienne tout aussi malheureuse que la chanteuse Rachel Yarabou aura à gérer, s’en sortant pourtant avec les honneurs. Réduits donc contre leur gré à une formule basse/batterie/claviers/guitare/chant principal, ce groupe très soul venu de banlieue parisienne, le fameux 9-3, s’est appuyé sur une solide mise en place et une voix très maîtrisée pour séduire progressivement un public qui découvrait un set tournant parfaitement rond malgré les ennuis les impactant. Une performance ! Dans ce contexte, Ludo Bors, aux claviers, se distingue particulièrement en prenant avec brio la plupart des chorus, et en ajoutant à sa panoplie une maîtrise de la flûte traversière tout à fait originale et bienvenue. La température grimpe au cours du set, tout comme d’ailleurs l’intenable Ludo Bors qui se met à jouer les équilibristes sur ses claviers, escalade à peine tempérée par une superbe ballade où l’impeccable guitariste Jean-Baptiste Harryson, obligé de modifier ses parties de guitare pour compenser l’absence de son compère, saisit lui aussi l’occasion de briller. Quasi inconnus au départ en nos terres bretonnes, les Principles Of Joy n’ont pas raté l’opportunité de se faire une belle réputation et de créer l’envie de les revoir, mais au complet et en pleine forme cette fois.

Pas mal de spectateurs étaient venus à cette soirée pour assister enfin à une prestation de GA-20, ce nom vient du célèbre amplificateur Gibson GA-20, un trio bien brut de décoffrage dans la lignée de Hound Dog Taylor, influence revendiquée, sans bassiste attitré, les deux guitaristes prenant tour à tour des parties graves sur leurs guitares, se présentant dans une nouvelle formule où seul subsiste le guitariste Matthew Stubbs. Et ça dépote ! Bouchons d’oreille obligatoires pour ce combo tonitruant et rentre-dedans, se donnant à fond, sans compter, mais affichant un réel savoir-faire. À la fin du deuxième soir de festival, leur énergie puissante est venue à bout de la fatigue des festivaliers qui se laissent emporter et trouvent au fond de leurs chaussures les dernières réserves d’énergie pour ponctuer les rythmes excitants du combo. Le nouveau chanteur Cody Nielsen nous livre même un extraordinaire moment de blues en interprétant seul en scène un blues ethnique avec accompagnement à la slide qui restera comme un des sommets de ce festival. Peu après, la salle assistera avec amusement et respect à une interprétation de « One More Time » avec chacun des guitaristes perché sur la sono de chaque côté de la scène, se renvoyant leur solo comme deux acolytes célébrant une étrange messe sonore, un blues ravageur, puisé aux racines mais dynamisé par les moyens sonores modernes et l’inépuisable énergie de ses interprètes. Rappelé sur scène avec ardeur, le groupe se lancera dans sa version du « Just One More Time » d’Ike Turner, concluant ainsi en beauté deux jours intenses de festival.
Patrick Lecacheur nous a promis une vingtième édition historique, mais semblait plus pessimiste pour la suite : la réduction des subventions pourrait-elle porter un rude coup à l’équilibre financier de son magnifique festival ? Il faut espérer qu’une retentissante vingtième édition bénéficiant d’un soutien massif du public permette à Bain de Blues et ses à-côtés de continuer à vivre encore longtemps. Toute l’équipe, comprenant de nombreux bénévoles participant à l’impeccable organisation et à la qualité et à la diversité de la programmation, mérite que la belle aventure se prolonge. Vous ne connaissiez pas Bain de Blues, malgré les articles de RTJ ? Alors, en espérant que cette chronique vous aura donné envie de vivre de magnifiques moments musicaux, venez très nombreux l’an prochain soutenir ce festival, vous ne le regretterez pas !
Y. Philippot-Degand
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